Francis PARENT. Des réseaux  labyrinthiques et des flux de particules…

Comme les Mandalas sont des projections planes de la Cosmologie qui régit le monde tantrique, unissant dans un même symbolisme concentrique (le Centre comme visée de la conscience en paix) microcosme et macrocosme, les œuvres de Béatrice Bescond sont les projections de l'imaginaire d'une artiste passionnée aussi bien de mythologies anciennes que récentes, autant par les mystiques européennes qu'orientales, identiquement par l'ésotérisme et la science.

Dans ces images à l'espace complètement saturé de signes reconnaissables, allusifs ou mystérieux, de figures allégoriques, mythiques ou religieuses, de bestiaires réels ou fantastiques, d'architectures classiques ou oniriques - espaces, de plus, souvent cernés par des frises aux allures d'Ouroboros (serpent qui se mord la queue et signe mythique d'éternel recommencement de la vie et de ses principes) - se concentre donc une intériorité mystique ainsi réconciliée dans l'union des principes habituellement contraires : ciel/terre, bien/mal, rêve/réalité, passé/présent, vie/mort… etc., et en fait, picturalement parlant : fond/forme.

Dans ces espaces-plans ainsi délités, un flux d'énergie vitale prend naissance dans les vibrations optiques d'une peinture hachée de myriades de touches colorées aux camaïeux puissants ou au contraire aux complémentaires frémissantes, et circule alors dans ces projections labyrinthiques (projection-type de l'inconscient, disait Jung), faisant sourdre ce qui, "au fond", est la douce lumière qui habite cette artiste.

Et si ses images ne sont pas tout à fait "psychagogiques" comme le sont les "vrais" Mandalas - c'est-à-dire susceptibles d'amener celui qui les regarde à l'illumination (entendu dans son sens tantrique) - elles mènent en tout cas leurs regardeurs vers l'illumination des profondeurs de la peinture. Et c'est en soi déjà merveilleux...

Francis Parent , Paris, Janvier 1987

Just as Mandalas are flat projections of the Cosmology which rules the Tantric World, uniting in one concentric symbolism (the Center as aim of the conscience at peace) microcosm and macrocosm, so the works of Béatrice Bescond are projections of the dreamstuff of this artist impassioned by ancient mythologies as much as recent ones, by European as well as Oriental mystics, by the Occult as well as Science.

In these images where the space is completely saturated with recognizable symbols, allusive or mysterious, with allegorical figures, mythical or religious, with bestiaries, real or fantastic, with architectures, classical or imaginary - spaces, moreover, often outlined by friezes with an appearance of Ouroboros (the snake which bites its tail and mythical sign of the eternal wheel of life - is concentrated a mystical interiority thus reconciled in the union of normally opposing principles : heaven/earth, good/evil, dream/reality, past/present, life/death… etc., and in fact, pictorially speaking : signifying/signified.

In these spaces, two dimensional, thus divided, a flux of vital energy is given birth in the optical vibrations of a painting hatched which thousands of colored brushstrokes in potent harmonizing tones or contrarywise in shimmering complementary colors,  and then circles in these labyrinthine projections (projection archetype of the subconscious, Jung said), allowing to burgeon forth what, "in depth", is the soft light which dwells in this artist.

And if these images are not exactly "psychodidactic", in the manner of "true" Mandalas - i.e. prone to lead those who look at them towards illumination (in its Tantric sense) - nonetheless they lead their spectators towards illumination in the depths of painting. And that in itself is marvellous…

Translated by Catherine Hubert.

 

Bernard NOËL : Un monde entièrement récrit. Préface Catalogue, Béatrice BESCOND,  Galerie du Centre, Paris, 1992.

La main, qui saisit, extériorise. L’œil, qui saisit, intériorise : il abstrait des images. Qu’est-ce que la fameuse vie intérieure qui s’ensuit ?

L’effet d’intériorisation est un effet d’appropriation. Il rend la réalité lisible, puis il veut que le réel ressemble au lisible. L’homme récrit l’image du monde sur la surface du monde. Il n’y a plus de réalité vierge.

On peut imaginer un monde entièrement récrit. N’est-ce pas le projet secret de l’art ? Quand il aura fait la réalité à son image, il ne sera plus un leurre, ni une représentation, mais la chose même. Alors, le mental et le réel seront identiques. Alors, une autre immanence règnera…

Ce besoin d’être la chose même travaille aujourd’hui le visible de deux manières, qui sont les pôles contradictoires de l’art contemporain. D’un coté, une manière figurative, qui met en scène des objets ou des fragments du monde, en effaçant leur relation à leur référent : de l’autre, une manière abstraite, qui s’efforce de supprimer toute anecdote, et même toute forme, afin de ne peindre que la peinture. Dans les deux cas, la représentation est colmatée, paralysée ; le tableau n’est plus un trompe-l’œil dans la transparence duquel le regard pouvait fuir devant lui-même et s’enfoncer dans la mentalité : il est opaque, incontournable, massif, et il produit son sens au lieu de renvoyer à une signification. Le regard s’y cloue à sa propre limite. Et en se regardant de là, il découvre dans cet objet, qui est encore un tableau, mais avant tout un objet mental, sa propre histoire… Bernard NOËL 

 

Marie-Odile ANDRADE - MAC 2000. 1992

La peinture comme l’écriture est ce qui « permet à l’homme visible d’atteindre l’homme invisible, l’homme du dedans », écrivait Marcel Béalu dans la vie en rêve. L’oeuvre de Béatrice Bescond parsème la réalité de songes puissants, de signes symboliques et de figures archétypales qui sont autant de portes entre le réel et le rêve, entre la vie et l’idéal. Le mouvement, la lumière, la couleur, tout invite au passage, des apparences à l’éclatante et lucide réalité. Marie-Odile Andrade, Paris, 1992.

 

Françoise MONNIN, Paris, septembre 2003.

"Percevoir, c'est peut-être apprécier une certaine "quantité" par delà du lisible, qui interroge notre pensée sensible et modifie au quotidien notre rapport au monde", dit-elle. Ses peintures, multicolores et lumineuses, procèdent par imbrications, par trames, par accumulation de touches, avec une souplesse et une énergie relativement aquatiques. Ses images-pages combinent et juxtaposent des silhouettes, des figures et des signes, inspirés par les mythologies occidentales et  par les automatismes de l'écriture. Véritables labyrinthes, elles piègent le regard, l'enluminent, le troublent, obligeant de ce fait la mémoire et l'imagination à en prendre le relais. Anges, gargouilles et autres êtres fantastiques, figures archétypales, signes calligraphiques étrangement mêlés, composent ainsi un univers d'autant plus séduisant qu'il demeure insaisissable.

 

Françoise MONNIN : Exposition : « Le rêve raisonne et la raison rêve »

Galerie des Beaux Arts. Paris. Du 03/04/2007 au 21/04/2007
L'oeuvre de Béatrice Bescond a le goût baroque du rayonnement, de l'arborescence, du battement d'ailes. Phaéton et Prométhée, empruntés à Michel-Ange et à Rubens, l'habitent aujourd'hui. Hommages ? Certes. Mais surtout " archétypes du mythe à valeur d'expérience ". Le jeu de cache-montre mis au point il y a quelques années, avec d'autres figures détournées, superposées, imbriquées, évolue.
Les silhouettes ne biffent plus l'invisible, elle le cerne. Au dialogue succède la métamorphose. La peinture de Béatrice Bescond ne clignote pas. Elle palpite.
"Dans le grand triptyque ‘Arbor-essence', le noir et le blanc prédominent. Des formes se dessinent, mais elles émergent à peine en lumière et vibrent à l'unisson avec l'air qui les entoure".
Béatrice Bescond écrit les formes. Elle cerne, griffe, nappe, irise, pointille. Dans les labyrinthes de son graphisme l'imagination rebondit. Raffiné, cet univers cumule les allusions plastiques historiques et mythologiques. Stigmates symboliques de l'agitation, les figures animées provoquent d'étonnantes sensations à répétitions : tout se fond peu à peu dans la cadence des vibrations, au risque de l'illisible. Pluie d'étoiles ou pulvérisation atomique ? Dialogue entre le motif et le message, qui s'inscrit dans le sillage de l'idéogramme, du hiéroglyphe, de l'arabesque. Béatrice Bescond serait-elle en train d'inventer une typographie conforme à la précipitation contemporaine de notre vieille Europe ?  Françoise Monnin, Paris, 2007. 

 

Jan KRÎZ, Prague, Janvier 2008

« On peut affirmer que les peintures de Béatrice Bescond présentent une certaine parenté avec les œuvres de Filonov notamment par la décomposition infinie des formes qui perturbe la saisie immédiate de l’image.  Cependant elles sont bien loin de la terreur révolutionnaire que Filonov a ressentie. La frayeur est ici plutôt cachée dans les couches intérieures et subconscientes des œuvres. Ce que j’aime dans ses peintures, c’est une forme d’harmonie psychique, parfois céleste, associée à une conscience critique du chaos contemporain qui s’exprime par un cataclysme pictural. La clé est de penser l’art comme un sismographe, comme disait Jean Clair. On peut aussi y voir une sorte de « désintégration positive » (Maslow). Dans le tumulte contemporain, les œuvres de Béatrice Bescond proposent une réconciliation des polarités, un pont entre abîme et salvation spirituels ». Jan Krîz, Prague, 30. 01. 2008.

 

EXPOSITION Béatrice Bescond. Galerie de l’ESPE, Vannes, janvier 2010

L’un des paradoxes de la peinture de Béatrice Bescond est de donner à voir et à la fois de soustraire au regard. Autour de cette contradiction, s’articule l’ensemble de son œuvre. Si une figuration apparaît, elle est sans cesse voilée, perturbée par les touches colorées, la surabondance des traces scripturales, les superpositions des réseaux, par les fusions d’images, ou encore par la rivalité entre de multiples formes qui naissent et se désagrègent sous notre regard. Les figures mythologiques qui peuplent les toiles (Prométhée, Icare, Narcisse….), surgissent de la trame picturale profuse. Les évoquer permet d’en évaluer l’actualité. L’intérêt de ces œuvres réside moins dans l’image formée que dans les conditions de son apparition. Par-delà le récit évoqué, il s’agit d’interroger l’émergence de ce qui fait image. Le mode de mise en œuvre ne peut nous laisser indifférent car nous le revivons dans le temps par l’expérience du regard.

Au-delà du jeu d’identification des figures et de l’expérience projective laissant jubiler notre fonction imageante, l’expérience perceptive que nous propose Béatrice Bescond révèle une saisie du monde qui nous est familière, mais dont nous n’avons pas totalement conscience. André Scherb, janvier 2010.

  

EXPOSITION "Noirs de crayons" Galerie du Point Virgule, Langueux (22), 14 nov- 27 dec. 2014.

Dès l’instant où le premier trait s’inscrit sur la surface du papier, un combat se livre entre le noir du graphite et le blanc pur qui aveugle par son excès de clarté. Dans ces dessins réalisés au crayon, l’affrontement entre ces deux forces complémentaires se manifeste par un foisonnement proliférant de traits, de signes et d’écritures.

La surabondance des traces scripturales, les réseaux, les fusions des motifs qui envahissent la « page », créent des espaces fluides et dynamiques. Les fragments corpusculaires ne se dissolvent cependant pas dans la masse car dans une vision rapprochée, chaque trace se perçoit de manière distincte. Le blanc n’apparaît alors qu’entre les écritures rapides. Les particules graphiques qui se dispersent ou se rassemblent, s’agrègent en « tapis vibratiles » et se désagrègent en flux rythmiques. Les répétitions, les saccades optiques, provoquent une cascade de petites sensations qui s’enchaînent instantanément. Le regard plonge dans la vibration de la matière, dans un micro-monde étrange et mouvant qui n’est pas sans évoquer celui que Roger Caillois décrit dans sa méditation sur les pierres, formes premières de la nature. Un nouvel espace sensible s’ouvre alors, dans l’intimité du trait et peut-être de soi…Béatrice Bescond, octobre 2014.

 

EXPOSITION, Kuandu Museum of fine Arts, Taipei National University of the Arts, du 17/10/2016 au 10/11/2016, Taiwan. 

Béatrice Bescond was born in 1956 in Brest, in Brittany, in the west of France. She graduated from the Ecole Nationale Supérieure des Beaux-arts de Paris in 1985 and from Paris VIII University (with a Masters in Theory and practice in contemporary art). She has presented her works in many exhibitions, whether alone or collectively, in France and abroad.

Her work could be said at first to be figurative as it reveals a dream world where angels and mythological figures mingle. However the artist’s interests lie elsewhere. Indeed, while she finds inspiring sources in the History of painting, in an archetypal memorial fund, it is to question and to topicalize them in original and enigmatic ways. Nevertheless, she reaches the very limits of abstraction and explores their many resources. The task of recognizing the fantastic bestiary, landscape, architecture and hieroglyphic writing is always deferred. The painting resists being grasped because of the extreme fragmentation of the pictorial surface which plunges the viewer into a flow of particles endlessly animated by a Brownian motion. The figures multiply as they are deconstructed, and blend in an original magma, or emerge and crystallize. The viewer’s gaze, which is thus trapped in the vibrancy of the graphic texture, moves around the dynamic space of the painting exploring the meanders of labyrinthine networks.

The exceptional presence of Beatrice Bescond’s painting is also due to the use of color, paradoxically both fugitive and intense. Thanks to optical synthesis, each stroke or color sign participates in a whole to give out suffused light. The resulting psycho-phenomenological perceptual experience the viewer has is thus unique. (Traduction: Shirley Bricout. Oct  2016)

 

EXPOSITION, "En présence des arbres", Musée des Beaux-Arts de Vannes, du 17/11/2018 au 10/03/2019.

Isabelle Nivet, KUB, Kultur Bretagne, L'arbre-muse. Février 2019

« En présence des arbres » réunit deux artistes, Béatrice Bescond et Jacques Le Brusq, tous deux diplômés de l’Ecole Nationale supérieure des Beaux Arts de Paris. L’exposition présente les créations originales des deux artistes qui ont travaillé ensemble pour la première fois. De l’infiniment petit au monumental, leurs peintures nous plongent au cœur d'un monde végétal et vibrant et c’est un choc immense.

Un champ énergétique

On le sait, on l’a dit, on le répète, l’art ne souffre pas l’image, l’écran, la reproduction. À peine tolère-t-il les mots, si dérisoires pour décrire ce qui existe en soi. L’œuvre doit se connecter au spectateur, résonner en lui, le toucher. Et parfois, il se passe quelque chose. Quelque chose de l’ordre du mystique, de la vibration. Une épiphanie. Un choc. Une rencontre.

On ne s’y attendait pas. Et puis on s’est avancé, là, juste là au centre de la salle du musée, et on s’est retrouvé encerclé par les quatre faces de l’arbre, comme dans un champ d’énergie. Quelque chose qui tournait. Un Stonehenge végétal. Le corps qui physiquement ressentait cette présence puissante, tutélaire, chargée de quelque chose qui semblait venir de très loin, de quelque chose de très ancien. Une force qui nous faisait presque tituber, faisait battre le cœur plus fort. Des arbres. En réalité un arbre. Un chêne. Celui de Jacques le Brusq. Le tronc d’un chêne, ancré dans le sol. Pas de ramures, pas de frondaison, pas de feuilles, pas de canopée, le tronc comme une colonne de mousse verte sur fond vert, juste le tronc. L’arbre n’est pas peint de profil mais de face, toujours. Pour Jacques Le Brusq, l’arbre est une présence immuable qui s’impose à lui.

Aux côtés des arbres de Le Brusq, c’est un autre travail magnifique. Oui, l’œuvre de Béatrice Bescond est belle, très belle, et sa facture tout aussi étonnante que celle de Le Brusq. Elle résonne, dans l’infiniment petit, la matière, l’énergie, les flux vitaux et végétaux, comme un regard sur les cellules observées au microscope. Délicat, subtil, d’une grande finesse, son dessin exprime une autre facette des arbres, mais dit au fond la même chose, c’est une ode à la nature et un hommage à l’arbre en tant qu’élément fondateur de notre monde. On a beaucoup aimé ses arbres, ses réseaux graphiques, ses vibrations colorées, à regarder de très près avant de s’en éloigner, l’expérience des allers et retours, du proche au lointain, engageant à une empathie, une connexion profonde, presque biologique avec l’œuvre.

Une exposition ressourçante qui ne manquera pas de vous interpeller ! 

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